Des débuts à 1923
Chassez le naturel, il revient au galop. Accueillant dès 1883 un hippodrome appartenant à la société des courses de Colombes, les terrains proches de la Seine sont rapidement devenus un lieu dédié au sport et aux sportifs du monde entier
La société des courses de Colombes, une ambition hippique avortée
La société des courses de Colombes voit le jour en 1883 avec la création d’un hippodrome situé sur un terrain de 35 hectares à quelques centaines de mètres du centre-ville de Colombes.
À cette époque, l’hippodrome propose une infrastructure qui n’a pas à rougir des autres hippodromes de la région parisienne. Avec des pistes dédiées aux courses de haies, aux courses plates et aux steeple-chases, l’adhésion des passionnés ne se fait pas attendre et durera pendant plus de 20 ans.
Revers de la médaille, ce succès finira par sonner la fin de l’hippodrome en question. Las de la poussière, du bruit et de l’insécurité générés par l’affluence du public, les Colombiens œuvreront à sa fermeture et ils y parviendront en 1907.
Entre-temps, la société des courses de Colombes passe la main en 1893 à la société du sport de France. La nouvelle société qui organise les courses finira également par libérer le bail. Ce dernier sera repris en 1906 par le journal Le Matin.
Le succès des autres hippodromes de la région qui ont été fraîchement rénovés enterrera définitivement l’avenir des terrains de courses à Colombes. Pour faire face à cette concurrence, le quotidien national, nouvel exploitant des lieux, décide de reconvertir l’hippodrome en stade d’athlétisme.
Dès lors, les pointes de courses et les crampons remplacent les sabots des chevaux. Le stade du Matin était né. En 1924, il est rebaptisé stade olympique de Colombes, puis stade olympique Yves-du-Manoir quatre ans après.
En décembre 1906, les champs de courses sont rachetés par le journal Le Matin qui souhaite œuvrer pour la jeunesse en offrant aux français une « école du grand air ». Pour les amateurs de rencontres sportives, l’habitude de se rendre à Colombes est prise.
Le stade du Matin, un lieu pour la pratique sportive de tous les jeunes
Dans un contexte ou la tuberculose et l’alcoolisme touchent de nombreux français, Le Matin encourage la pratique assidue du sport afin d’aider les jeunes à lutter contre ces deux fléaux.
Pour le journal, le premier serait dû à la pollution de l’air, et le second à l’ennui ou à l’inactivité physique. Le sport pratiqué à la campagne se présente alors comme une solution envisageable, pas seulement pour les classes sociales aisées, mais aussi et surtout pour le plus grand nombre.
Ainsi, parallèlement aux associations de collèges et lycées qui œuvrent pour la démocratisation du sport, Le Matin apporte sa pierre à l’édifice avec le stade d’athlétisme de Colombes.
Le quotidien use de son réseau pour approcher les personnes influentes comme les présidents des sociétés de gymnastique de France ou de sports athlétiques. Ce lobbying avant l’heure permet de recueillir des faveurs et des conseils précieux pour le projet sportif du journal qui se révèle être un franc succès.
En quelques années, le stade du Matin devient un lieu privilégié pour la pratique sportive de tous les jeunes qui le souhaitent, et plus particulièrement des Colombiens.
Quand la France se met à l’heure du sport
Quand il s’agit de sport, et plus particulièrement de sports collectifs, la rivalité entre Français et Anglais est souvent de mise.
Sur ce sujet, à la fin du XIXe siècle, l’Angleterre donne l’exemple en valorisant la pratique du sport dans tout le pays. La France lui emboîte le pas en créant les premiers clubs et les premières associations sportives.
Le 20 novembre 1887, l’Union des Sociétés Françaises des Sports Athlétiques (USFSA) voit le jour. Cette union omnisports est fondée par le Racing Club de France et le Stade français. Elle sera aussi à l’origine de la création de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), et de la modernisation des Jeux olympiques – notamment à l’initiative de Pierre de Coubertin avec l’édition grecque de 1896.
Malgré ces efforts, à cette époque, le sport relève d’une véritable lutte de classes. Entre autres, l’USFSA exige que ses adhérents « ne se livrent à aucune profession ouvrière ». Pour enfoncer le clou, les conditions de travail des ouvriers – que ce soit au niveau des horaires ou des salaires –, ne leur permettent pas de pratiquer un sport quel qu’il soit.
Il faudra attendre 1907 et la création de l’Union Sportive du Parti Socialiste (USPS) pour que la pratique du sport se généralise. De nombreuses fédérations nationales sont alors créées comme celles de football en 1919, d’athlétisme en 1920, ou de basket-ball en 1932.
Encouragée par le journal Le Matin au tout début du XXe siècle, la démocratisation du sport en France prendra véritablement son envol dans les années 20 et les années 30.
Quelques dates importantes...
- 1903
Premier Tour de France - 1900-1920
Création des premières fédérations sportives
L’exception sportive française
En 1903, l’ancien coureur cycliste Henri Desgrange lance ce qu’il souhaite être la plus grande course de vélo jamais vue à ce jour. Le Tour de France était né, et en quelques années, il participera à faire du cyclisme le sport le plus populaire du pays.
Dorénavant, le stade du Matin accueille de nombreuses compétitions d’athlétisme, de football, ou de rugby. Le 2 janvier 1911, le XV de France y gagne son premier match en battant l’Ecosse 16 à 15. Le 16 novembre de la même année, Jean Bouin y établit le premier record du monde sur 10 000 mètres.
La naissance du XV de France
La première mouture de la sélection nationale de rugby est formée par l’USFSA en 1893 avec une grande partie de joueurs parisiens issus du Racing Club ou du Stade Français… Mais c’est en 1896 que la constitution d’une équipe de France est réellement officialisée.
Quatre ans plus tard, en 1900, le XV de France participe à un premier tournoi olympique et remporte le titre en battant les allemands du FC Francfort 27 à 17 et les Moseley Wanderers (Angleterre) 27 à 8 au vélodrome de Vincennes devant près de 6 000 spectateurs.
Malgré les victoires, ce premier titre olympique n’est pas satisfaisant. Devenir champion sans se confronter à d’autres formations nationales laisse un goût d’inachevé au XV de France et au public.
Tout s’accélère le 1er janvier 1906 avec leur premier match officiel au Parc des Princes contre les Originals de Nouvelle-Zélande, devenus depuis les All Blacks.
Le 22 mars de la même année, l’équipe inaugure sa première tenue tricolore à l’occasion d’une défaite 35 à 8 face aux Anglais. En 1910, les Français retrouvent leurs meilleurs ennemis lors du premier Tournoi des cinq nations auquel participent également l’Irlande, l’Écosse et le Pays de Galles.
Entre 1906 et 1914, l’équipe de France de rugby participera à 28 matchs internationaux. Malheureusement, ils se sont tous soldés par des défaites, excepté contre l’Écosse le 2 janvier 1911.
Une victoire parmi des défaites
Habitué aux défaites, le XV de France rompt le sort contre l’Écosse au cours de la deuxième édition du Tournoi des Cinq Nations.
Ce 2 janvier 1911, au stade du Matin à Colombes, les Tricolores se sont imposés d’une courte tête face au XV du chardon.
Sous la houlette du capitaine Marcel Communeau, Pierre Failliot, l’ailier surnommé « l’autobus », est élu homme du match après avoir marqué deux essais et stoppé une action écossaise qui aurait pu coûter la victoire aux Français.
D’autres joueurs comme Laterrade, Peyroutou ou Descamps se sont également illustrés pour arracher la victoire 16 à 15. Cette dernière n’aura toutefois pas suffi. Une fois de plus, le Pays de Galles remporte le trophée. La France termine avant-dernière, devant l’Écosse qui hérite de la cuillère de bois autrefois réservée au XV de France.
Encore aujourd’hui, pour tous les amoureux du rugby, le lundi 2 janvier 1911 reste dans l’histoire de l’ovalie comme étant le jour de la première victoire officielle des Tricolores.
Au football, des premiers duels France - Angleterre qui se terminent comme au rugby
Depuis leur première rencontre en 1906, l’Angleterre domine outrageusement la France sur les terrains de football. Tous les matchs joués entre les deux équipes se soldent par d’humiliantes défaites pour les Bleus : 16-0, 10-1, etc.
Il faudra attendre 1921 pour que l’équipe de France s’impose pour la première fois de son histoire face à celle d’Angleterre avec une victoire arrachée 2 à 1 sur la pelouse du stade du Matin, rebaptisé stade de Colombes.
Par la suite, l’équipement sportif accueillera neuf rencontres opposant les deux équipes. Entre 1925 et 1955, trois matchs seront gagnés par la France dont celui du 14 mai 1931 où elle « roule » enfin sur l’Angleterre avec un score final de 5 buts à 1.
Les terrains de Colombes entrent définitivement dans l’histoire du sport lorsque Paris se voit confier l’organisation des Jeux olympiques de 1924. Un temps dans l’impasse, faute d’accord sur l’emplacement du futur stade olympique, le dossier se débloque grâce au Racing Club de France. Ce dernier, locataire de la majorité des terrains depuis 1920, propose d’y bâtir à ses frais le stade olympique. Il deviendra, de fait, propriétaire des installations.
Paris double Amsterdam dans la dernière ligne droite de l'attribution des Jeux
En 1924, c’est la ville de Paris qui est sélectionnée pour organiser la 8ème édition des Jeux olympiques. La ville d’Amsterdam partait pourtant favorite. C’était sans compter sur la pugnacité de Pierre de Coubertin qui œuvra intelligemment auprès du Comité International Olympique (CIO) pour le convaincre de sélectionner Paris. En contrepartie, Amsterdam obtiendra l’organisation de l’édition de 1928.
C’est dans ce contexte que la ville de Colombes, située à quelques kilomètres de Paris, accueille le premier village olympique de l’histoire. A ce titre, le stade de Colombes est rebaptisé stade olympique de Colombes.
Doté de 45 000 places, il est l’épicentre de l’événement avec l’organisation des cérémonies, des épreuves d’athlétisme, de cyclisme, de gymnastique, de rugby, de football ou de pentathlon moderne. Des mois de mai à juillet, plus de 3 088 athlètes représentant 44 nations sur 126 épreuves participent à cette édition.
Chez elle, la France monte sur la deuxième marche du podium avec 41 médailles devant la Finlande qui en obtient 37 et loin derrière les États-Unis qui en cumulent 99.
Pour le pays et sa capitale, c’est également une grande fête médiatique grâce à l’avènement de la radiophonie et à la présence d’environ 700 journalistes sur place.
Le Racing Club de France, de la course à pied au football
Le Racing Club de France est fondé en avril 1882 par des élèves du lycée Condorcet de Paris qui souhaitaient pouvoir pratiquer le sport dans les meilleures conditions possibles.
Comme son nom l’indique, le club est centré sur la course à pied mais il devient, contre toute attente, un des plus grands clubs omnisports de Paris. En 1887, il s’associe au Stade français pour fonder l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA).
Le football se pratique au sein du club qu’à partir de 1896. Après avoir terminé à plusieurs reprises vice-champion, le RCF remporte le Championnat de France de l’USFSA en 1907 et figure, dix ans plus tard, parmi les 48 participants à la première Coupe de France de football.
Locataire du stade de Colombes, le Racing Club de France voit son histoire prendre une toute nouvelle trajectoire en 1932, date à laquelle le football devient professionnel. La section du RCF dédiée à cette discipline devient alors une association autonome : le Racing Club de Paris.
Comment le coq s’est imposé sur les torses du XV de France ?
Le maillot de l’équipe de France de rugby connaît beaucoup de modifications entre 1906 et 1920. Lors du premier match officiel des Tricolores face aux Originals de Nouvelle-Zélande en 1906, les joueurs portent un maillot blanc avec l’emblème de l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA) en guise de blason.
Par la suite, après la première victoire officielle du XV de France face à l’Écosse, son influent capitaine Marcel Communeau arrive à convaincre l’USFSA d’adopter le coq gaulois comme nouvel emblème. Auparavant utilisé par la section football, le gallinacé s’affiche à côté des anneaux de l’USFSA en 1912 lors du Tournoi des Cinq Nations face à l’Irlande.
Après la dissolution de l’USFSA en 1920, toutes les disciplines sportives créent leur propre fédération avec le coq comme seul emblème des sélections nationales.
Le stade et son village olympique, le premier de l’histoire des Jeux, sont construits en un an et demi sur les plans de l’architecte Louis Faure-Dujarric.
Louis Faure-Dujarric (1875-1943) : pour la beauté du geste
Louis Faure-Dujarric né le 5 février 1875 dans le 9e arrondissement de Paris.
Tout juste diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris, il monte son cabinet d’architecture en 1899 et commence une carrière riche en ouvrages. Immeubles parisiens, hôtels particuliers, grand magasin Aux Trois-Quartiers… Nombreux projets prennent vie sur sa table d’architecte, mais c’est surtout celui du stade de Colombes qui le fera connaître. Passionné de sport, il conçoit aussi le court central de Roland-Garros et l’hippodrome de Buenos Aires.
Ancien joueur de rugby à XV et capitaine sous le maillot du Racing Club de France, c’est lui qui œuvrera auprès de son ancien club et du CIO en faveur de l’implantation du village olympique à Colombes en 1924. Il gagnera également le concours pour procéder à l’extension du stade avec un projet innovant articulé autour d’une structure métallique.
Après son intervention, le stade comptera plus de 45 000 places ainsi que des équipements modernes comme des arrivées d’eau chaude, des vestiaires pouvant accueillir plus de 1 000 athlètes, une salle de presse ou une piste d’entraînement sous la tribune. Il réédite une performance de haut vol en concevant, à partir de rien, le premier village olympique de l’histoire.
Grâce à son parcours et à son audace, Louis Faure-Dujarric est encore considéré aujourd’hui comme un précurseur de l’architecture sportive. Il décède le 20 juillet 1943 à Nice.